Interview d’un chef barman : Robin Letexier

Interview d’un chef barman : Robin Letexier

Faisons les présentations

Tout d’abord merci d’avoir accepté cette interview et je te laisse te présenter à nos internautes.

Je m’appelle Robin Le Texier, je suis originaire de Saint-Malo. J’ai 31 ans et je suis le chef barman de la Cave à Cidre du Breizh Café, rue des Petits-Carreaux, à Paris.

(rire) On sent que tu t’es préparé !

Quand t’es-tu lancé dans ce métier et pourquoi ?

Depuis que je suis petit, j’ai cette fascination pour le goût ! Deux choses me passionnaient : le basket et le goût. Du coup, j’ai fait un sport étude basket. J’ai joué en semi-pro, à Quimper, à Charenton et à Paris, tout en faisant l’école Ferrandi (Note : école française de gastronomie et de management hôtelier). J’arrivais à cumuler les deux à ce moment-là. Puis une réalité est arrivée : je n’avais pas une carrière à la hauteur de ce que j’espérais étant petit, dans le basket, et j’ai donc pris la tangente : j’ai préféré arrêter le basket et me lancer dans la cuisine.

J’ai ensuite bossé dans un restaurant étoilé. Ça ne s’est pas super bien passé. C’était un monde un peu brutal et, suite à cette expérience, j’ai quitté l’univers du goût pendant plusieurs années.

En 2016, j’avais pour projet de retourner à Saint-Malo, là où je suis né.  J’y ai retrouvé un ami d’enfance qui ouvrait un bar à cocktails – le premier bar à cocktails qui ait jamais existé à Saint-Malo ! (rire) Grâce à lui, j’ai retrouvé le plaisir de créer du goût, cette fois-ci sous forme liquide. J’ai trouvé une proximité avec les gens, en direct – pas comme en cuisine, c’est d’ailleurs ce qui m’avait dégoûté. J’ai trouvé un univers qui me plaisait, très riche historiquement, intellectuellement. Et dense. C’est venu assez naturellement : j’ai eu l’impression de retrouver la passion de mon enfance : comme lorsque que j’avais commencé à faire de la cuisine.

Peut-être aussi, que ça correspondait plus à ta personnalité ?

Ouais tout à fait ! Et puis il y a un vrai rapport aux gens, ce qu’au final, on ne retrouve pas en cuisine qui est assez déshumanisée – on n’a pas de retour du client. Au bar, tu fais une création instantanée, tu peux voir leur réaction, tu as un retour. Le rapport aux gens est très important pour moi. J’aime que l’humain soit au centre de ce travail, c’est ça qui m’a réellement plu.

Du coup, t’as plus appris sur le tas ? Ou, est-ce que tu as fait des études en mixo ?

Pas du tout ! Juste la cuisine et, après, la lecture de bouquins, la curiosité, Francois Carpentier qui m’a formé, et puis la recherche personnelle.

T’as eu un obi-wan kenobi quoi ?

Oui ! C’est vrai que je parle souvent de lui, mais c’est vrai qu’il m’a beaucoup apporté.

La suite pour toi, c’est quoi ?

L’idée globale, c’est un des bars du top 50. Et voyager : Barcelone me tente bien !

Nous, comme tu sais, on fait des ateliers cocktails, avec des novices en mixo.  Est-ce que tu aurais des conseils pour ceux qui veulent débuter ? Pour toi c’est juste de la passion ? Peut-on l’aborder facilement ?

Alors… Je pense qu’au-delà de la passion, c’est agréable de faire ça chez soi pour ses amis. Il y a des choses très simples ! Il suffit d’avoir un verre doseur et de connaître quelques rapports d’équilibre. Ça ouvre déjà des perspectives intéressantes !

C’est un domaine encore trop méconnu du grand public, on a un peu des aprioris anciens sur ce travail-là, mais il y a énormément à découvrir. Et c’est quelque chose d’assez ludique ! On peut même se boire un petit cocktail tout seul aussi ça peut-être sympa aussi ! (rires)

Les cocktails sentimentaux

Parlons un peu de ta carte et de tes créations, de cet univers entre le Japon et la Bretagne. Je sais que tu bosses sur une nouvelle carte en ce moment. Parle-nous de tout ça !

Initialement, ici, je bossais les cidres, car ça s’appelle quand même la cave à cidre. Mais, rapidement, ça tourne un peu en rond – notamment pour des soucis de conservation et aussi pour la trame aromatique, on se sent rapidement restreint.

La première carte, c’est un concept où j’ai réfléchi pendant plusieurs semaines, plusieurs mois. Elle s’appelle la couleur des émotions – qui est une phrase que je trouve poétique et que j’ai eue en tête dès que j’ai commencé à faire du bar. Sauf qu’elle était là, un peu dans le fond, et j’arrivais pas à la mettre en forme.

Alors j’ai eu l’idée d’interroger des gens sur leur perception des émotions, pour que ce soit quelque chose, qui au moment de l’expliquer, soit plus parlant. Je pense que si j’avais interprété seulement mes émotions cela aurait été trop personnel. Alors que le fait d’avoir intégré, comme ça, une centaine de personnes, dans le processus de création, ça rend le concept plus compréhensible !

Et peut-être que les gens se livrent plus facilement ?

Complètement ! C’est super intéressant. L’idée, c’est un questionnaire très simple pour pas que ça parte dans tous les sens ! Ça a été des questions factuelles sur la perception des émotions. J’ai envoyé ce questionnaire à des gens en leur demandant “quel goût, quelle couleur et quelle atmosphère vous évoque la peur, la joie…” Et à chaque fois, ils pouvaient choisir deux réponses. Je me suis servi de ces données-là pour faire ma cuisine, avec ce que les gens m’avaient répondu.

Pourquoi le Japon ?

Parce que le Breizh Café a été initialement créé au Japon, je crois il y a 25 ans si je ne me trompe pas. C’est le fondateur Bertrand Larcher qui a importé la cuisine bretonne au Japon et, au fur et à mesure, il a intégré des touches bretonnes dans la cuisine japonaise. C’est devenu son identité. C’est pas non plus de la crêperie fusion, mais plus de la crêperie influencée.

Tu peux nous donner un indice sur la nouvelle carte qui va sortir  ?

On reste dans le même thème. Un indice… Je peux dire rhubarbe, mais… (rire) ce n’est pas vraiment un indice.

Je suis de nouveau parti sur le thème de la perception des émotions. J’ai retravaillé avec les données que j’avais, cette fois avec un prisme un peu plus personnel. Mais j’ai gardé cette idée d’intégrer les gens. J’essaie d’aller plus loin sur la précision de la décoration, la recherche du goût. Pour ces nouveaux cocktails j’ai aussi travailler le bois, des essences, quelque chose de la parfumerie…

Est-ce que tu penses que t’as besoin de reproduire les sentiments des gens pour les toucher ?

Alors je ne sais pas, mais je suis touché par les émotions. C’est une phrase un peu bateau mais ça me paraissait important (enfin tranquille). Je trouvais que c’était le bon moment pour parler de ça, car on a tous connu une certaine forme de solitude, éloignés les uns des autres. Après, ça reste des boissons, mais c’est un sujet qui me touche et je trouve qu’il y a de la poésie là-dedans. Je voulais vraiment aller dans ce côté poétique.

Après ça reste une interprétation qui au final est personnelle, mais il y a quand même des gens qui ont des réactions à des cocktails. Par exemple, une dame m’a dit que le cocktail Nostalgie lui rappelait son enfance !

Avis aux amateurs de cocktails !

Des bons bars à conseiller à Paris ?

Clairement ! J’ai des bons bar à conseiller. Alors…

J’ai un ami à moi qui travaille rue d’Aboukir, au bar qui s’appelle Bambou. J’aime bien aller au Syndicat. Après, un bar sympa avec une atmosphère très cool : j’aime bien aller – le Dimanche et le Lundi car en plus, il y a des concerts de jazz, funk – au  Lulu White, à Pigalle. Très très bon rendez-vous du dimanche, avec beaucoup d’habitués, intimiste, une trentaine de place, puis c’est beau ! Y a une inspiration prohibition !

Voilà, je dirais ça déjà, c’est pas mal (sourire).

À ton avis, est-ce qu’il y a une règle d’or pour être un bon barman ?

Être à l’écoute et je pense Aimer. C’est large, on l’interprétera comme on voudra. Etre là pour l’autre, s’occuper des gens, mettre les gens à l’aise. C’est agréable de s’oublier pour l’autre, c’est ça qui me plaît dans ce taf !

Est-ce que t’as un alcool préféré ? Des cocktails préféré ?

Ce sont des bonnes questions (rires).  En ce moment, c’est le Bee’s Knees avec du gin, du citron et du sirop de miel ! C’est très simple, mais j’adore ça.

Et pour l’alcool préféré, en ce moment, je suis dans l’Umeshu (Note : 梅酒, littéralement « alcool de prune » ) que j’ai découvert en travaillant ici.

Oui très très bon (rire) !

C’est bon, c’est doux et pas trop fort, ça marche du matin au soir ! Avec modération évidemment (rires)

Bah voilà ! Ah si peut-être une recette facile à faire pour un novice ?

Déja ! un truc très simple, c’est faire du sirop chez soi : c’est 1 kg d’eau, 1 kg de sucre, on dissout et après avec ça, on peut faire toute sorte de cocktails ! des Daiquiri, des Whisky Sour, en vrai, on peut faire énormément de choses ! Des Pisco Sour aussi !

Merci à Robin Le Texier pour cette interview décontractée – et pour cette séance photo qui l’était un peu moins^^.